Le Cinéma de Raoul Ruiz

La Chouette aveugle

La Chouette aveugle de Raoul Ruiz
long métrage fiction 16mm France, Suisse (1987) 1h 45min.
Sous titre :
Le Condamné, librement inspiré de La Chouette aveugle, et du Condamné par manque de foi de Tirso de Molina
Réalisé par :
Raoul Ruiz
Avec :
François Berthet, Brigitte Coscas, Jessica Forde, Jean-Marie Boëglin
Synopsis :
Le Narrateur, un arabe immigré d'environ 35 ans, H., est projectionniste dans un vieux cinéma. Un jour, attiré par la musique, il regarde par la lucarne et ce qu'il aperçoit le fascine: la danseuse du film semble le fixer droit dans les yeux. Il tombe amoureux d'elle, mais la vision n'a duré qu'un seul instant et la jeune femme ne réapparait plus. Peu après, un vieil homme fait irruption dans la cabine et prétend être son oncle. H. veut lui préparer un repas et saisit une bouteille d'huile. Sur l'étiquette il retrouve l'image de la danseuse.
Scénario :
Raoul Ruiz, Benoït Peeters
Montage :
Valeria Sarmiento, Rodolfo Wedeles
D'après :
Condamné par manque de foi de Tirso de Molina et La chouette aveugle de Sadegh Hedayat
Production :
Maison de la Culture du Havre, La Sept, Light Night Prod., Radio Télévision Suisse Romande
Image :
Patrice Cologne
Son :
Jean-Paul Buisson, Laurent Barbey

La Chouette aveugle
Trafic n°18 Printemps 1996
Luc Moullet

Extrait :

La Chouette aveugle constitue une suite d'éléments formels trés divers qui se superposent les uns aux autres sans s'annuler - véritable pyramide inversée - pour aboutir à une apothéose esthétique : c'est à la fois un gigantesque canular et une oeuvre existentielle cosmique sur la condition humaine. (...) Jamais fin de film ne fournit une telle succession, une telle simultaneité d'éléments contradictoires pessimisme et jouissance extrême mélangés - ni une acmé aussi envoûtante et extravagante, qui contribue probablement à faire de La Chouette aveugle le plus beau joyau du cinéma français des dix dernières années.

L'esprit des Mille et une nuits
Théâtre au cinéma N° 14 2003
Abdelwahab Meddeb

 

Extrait :

Il y a une scène de ce film où l'on juge de ce que peut l'étranger à une culture lorsqu'il est mû par sa reconnaissance. De ce fait, l'étranger se sent chez lui où qu'il se trouve, quelle que soit la culture qu'il adopte. Tel est le privilège de l'homme de l'expatriation, tout autant chez lui avec Proust ou Giono, qu'en Chine ou en Islam. Il faut être atteint par la souveraineté de l'exil pour oser une telle scène [Un personnage traverse un bazar, il porte sur son dos un coffre qui contient un cadavre, lorsque l'appel à la prière retentit... N.D.L.R]- c'est à dire être loin de toute forme de culpabilité. Or qui est loin de la culpabilité ?
Celui qui n'est pas dans le déni de l'autre et qui partage son savoir n'est pas dans le complexe qu'engendre l'ignorance et le mépris. N'étant pas dans la méconnaissance de l'Islam comme on peut l'être dans bien des milieux intellectuels et artistiques, Ruiz ose quelques impertinences à son égard, et mêmes les plus adéquates des irrévérences.
En émulation avec Luis Bunuel et ses férocités contre le catholicisme, Ruiz élargit la sphère de l'humour surréaliste ravageur en y intégrant l'Islam. C'est très utile en ces temps de pudibonderie et de tartufferie et de mise à distance des tabous au nom du respect des différences.

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France Culture 2006
Entre baroque et fantastique, Raoul Ruiz.
Claude Liscia