Le Cinéma de Raoul Ruiz

Comédie de l'innocence

Comédie de l'innocence de Raoul Ruiz
long métrage fiction 35mm France (2000), 1h 35min.
Date de sortie : 28 Février 2001
Autre titre :
Fils de deux mères
Réalisé par :
Raoul Ruiz
Avec :
Isabelle Huppert, Jeanne Balibar, Charles Berling, Nils Hugon, Edith Scob, Denis Podalydes, Laure de Clermont-Tonnerre
Synopsis :
Camille a neuf ans, une vie confortable dans l'appartement bourgeois de ses parents, et une petite caméra vidéo avec laquelle il filme ce qui lui chante. Le jour de son anniversaire, une question anodine amuse beaucoup sa mère, son père et son oncle réunis autour de la table familiale : « et toi, maman, tu étais où quand je suis né ? ». La question est balayée par un sourire, mais les choses se gâtent quand l'enfant annonce à sa mère qu'il ne veut plus l'appeler « maman », mais par son prénom, Ariane. Un peu plus tard, il lui propose de lui présenter sa vraie maman. Celle-ci, dit-il, habite Paris, il connaît l'adresse et veut y conduire Ariane. Cette dernière se prend au jeu, suit son fils et pénètre dans l'appartement de cette inconnue. Au mur, s'étalent les photos d'un petit garçon, le fils de la propriétaire, mort quelques années auparavant?
Scénario :
Raoul Ruiz, Françoise Dumas
Montage :
Mireille Hannon
D'après :
Il figlio di due madri de Massimo Bontempelli
Production :
Mact Productions, Canal +, CNC, TF1, Les Films du Camelia
Directeur de la production :
Martine et Antoine De Clermont-Tonnerre
Image :
Jacques Bouquin
Son :
Jean-Claude Brisson, Béatrice Clérico
Musique :
Jorge Arriagada
1er assistant :
Guillaume Roitfeld
Costumes :
Nathalie Raoul
Décoration :
Bruno Beaugé
Lieu de tournage :
Paris
Distribution :
Haut et Court
Visa d'exploitation :
98.622
Prix, Festivals :
Séléction Festival de Venise 2000, Belgrade 2001, Göteborg 2001, Londres 2000, New York 2000, Rio de Janeiro 2000, Toronto 2000

Le mensonge est une forme de vérité
Editions Montparnasse-Dossier de presse du DVD Avril 2002

Comment avez-vous eu l’idée d’adapter le roman de Massimo Bontempelli ?

J’avais eu le projet d’adapter un autre livre de cet auteur. Bontempelli est quelqu’un qui aime bien mélanger des éléments très réalistes avec des éléments fantastiques. Il a été très proche des surréalistes, de Giorgio de Chirico et Alberto Savino ; il a dirigé une revue d’avant-garde. Il s’est fait une spécialité d’une espèce de " fantastique ensoleillé ", qui fait plus penser aux conteurs arabes qu’à Bram Stoker et son Dracula. J’aime beaucoup ce qu’il écrit : çà a plus à voir avec les fantasmes qu’avec les fantômes…et moi je travaille un peu dans cette direction avec mes films.

Comment s’est passé l’adaptation ?

Françoise Dumas a d’abord mis au point, seule, une adaptation contemporaine du roman qui se passait au début du siècle. Le livre raconte l’histoire d’un enfant né le lendemain de la mort d’un autre enfant et qui, dix ans après, commence à se comporter bizarrement, comme s’il était possédé….Ensuite, çà part un peu dans tous les sens avec l’explosion d’une montagne, un bateau pirate, des gitans… Françoise DUMAS et moi avons retravaillé ensemble, afin de resserrer l’histoire dans un lieu unique, à Paris, et principalement dans cette maison bourgeoise. Et pour des raisons de dates de tournage, nous avons transformé les vacances d’été du petit garçon en vacances d’hiver. Curieusement, çà a rendu le film très concret : il y a beaucoup moins de féerie et beaucoup plus de cauchemars que dans le livre…

La structure est celle d’un film fantastique : on a une explication logique, tangible, et puis à la fin le " monstre " revient…

Oui, le monstre est toujours vivant…En même temps, ce sont des monstruosités parfaitement vivables… en tout cas très répandues…

Vous renouez avec un genre, le fantastique français, qui s’est perdu depuis longtemps ?

Il y a une spécificité du fantastique français qui vient de la littérature du XVIIIe et XIXe siècle, de Charles Nodier et de Gérard de Nerval, pour ne citer qu’eux. Au cinéma, les réalisateurs d’aujourd’hui semblent avoir beaucoup de mal à s’y intéresser.

Comme dans tout film fantastique, le décor à une importance particulière ?

La maison est un personnage à part entière. Il y a un moment où pour ainsi dire, il y a un duo entre le personnage d’Ariane que joue Isabelle Huppert et la maison : elle se promène et on ne sait pas si c’est la maison qui la mène, ou elle qui décide où elle va : la caméra la précède, la place dans le cadre, s’échappe….C’est une maison qui a eu des secrets mais qui a été complètement transformée, tout en gardant une espèce de passé : l’extérieur est délabré et l’intérieur a été refait comme un décor de théâtre…

Il y a plusieurs pistes dans votre film ?

Il y a les trois pistes de base : l’enfant possédé, l’enfant manipulé et l’enfant manipulateur- qui fait tomber tout le monde dans un piège qu’il a inventé et duquel il se lasse à la fin…comme un enfant… Et cette troisième piste, elle-même… N’est qu’une explication… disons : provisoire...

Il y a bien d’autres pistes, comme celle d’un enfant échangé à la naissance par le frère d’Ariane, alors jeune médecin ?

Ca, c’est une fausse piste… Le scénario prend sa source dans des contes ou comptines pour enfants… Les deux références principales sont « Le Joueur de flûte de Hamelin » et « Le Petit Poucet ». Le côté malsain et inquiétant des contes pour enfants de Hans Christian Andersen me fascine depuis ma propre enfance. Je les cite très souvent dans mes films…/…
On y trouve des thèmes qui me plaisent : la quête qui ne mène nulle part et les objets qui ont une âme.

L’enfant possède un jouet d’adulte - la caméra – et les adultes, des jouets d’enfants –une poupée, des voitures, un train électrique ?

Ce sont des fétiches, des jouets animistes…

Envisager que vos parents ne soient pas vos vrais parents, c’est un fantasme très enfantin ?

Chaque fois qu’on regarde un enfant de travers, il dit : tu ne peux pas être mon père, mon père ne ferait pas ça !

En français, on dit à la fois « faire » et « avoir » un enfant. Les deux mères se positionnent en fonction de cette terminologie ?

Curieusement, c’est quelque chose qui est venu pendant le tournage. C’était concret, tout le monde ne parlait que de ça, mais je ne voyais pas comment ça pouvait se passer… et puis tout à coup c’est apparu dans le film : la question de la maternité, qu’est-ce que c’est qu’être une mère. Et la compétition entre les deux actrices, Isabelle Huppert et Jeanne Balibar, fait que la compétition pour l’enfant devient tangible..

Lorsque je me suis aperçu de ça, j’ai commencé à imaginer des plans pour les envelopper toutes les deux, ne pas filmer la confrontation en champs / contre-champs, qui banalise par la rhétorique cinématographique…/… Tandis que s’il y a dans le même plan, des silences qui sont comme des menaces, des mouvements, des rapprochements, des éloignements, ça donne une force compacte…

Vous avez changé des choses au fil du tournage ?

En général, j’arrive avec cinq ou six propositions de mise en scène et, selon ce que les comédiens donnent, je m’adapte… il y a à cela une raison pratique : c’est la seule manière de ne pas bloquer sur un détail. Il faut toujours se donner des options…

Comment travaillez-vous avec vos acteurs ?

Il y a deux types de directeurs d’acteurs : ceux qui chargent l’acteur d’informations sur l’histoire et les personnages et ceux qui donnent simplement les indications techniques, les mouvements de caméra, les places… Moi, j’oscille entre les deux. C’est un jeu… un peu comme de la corrida

Vous avez beaucoup travaillé l’image de vos films. Ici, il semble que vous ayez aussi beaucoup travaillé sur le son ?

Il y a peu, je tournais encore en mono… or, le mono se travaille comme les films anciens. Avec le dolby stéréo, on peut jouer sur les nuances et ajouter de l’espace sonore. Il suffit, par exemple, qu’un personnage se promène sans qu’on entende le bruit de ses pas… et la scène prend une autre dimension… Mais j’aime toujours jouer sur les distorsions de l’image, même si je l’ai moins fait ici.

Le mensonge est la base de votre cinéma. Ca a à voir avec Cocteau et son « mensonge qui dit la vérité » ?

Entre autres. Et avec William Blake : « le mensonge est une forme de vérité »… Vous savez que le mensonge « esthétique » n’est pas un péché ?

Il n’y a donc pas de mensonges dans vos films ?

Il n’y a que des formes de vérité…

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Cahiers du cinéma 555 2001
La Comédie de l'innocence
Emmanuel Burdeau

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Dossier de presse du DVD 2002
Comédie de l'innocence : Le mensonge est une forme de vérité

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DVD Comédie de l'innocence 2002
Bonus : La Tentation de l'innocence, entretien avec Raoul Ruiz.

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Fiches du Cinéma 1596

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Le Monde 2001
La mystérieuse conspiration des apparences
Jean-Michel Frodon

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Les Inrockuptibles 279

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Libération 2001
Divine «comédie»
Philippe Azoury

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Libération 2001
Edith Scob, occultée par «les Yeux sans visage»
Didier Peron

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Positif 477 2000
Venise
Alain Masson


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Positif 481 2001
Comédie de l'innocence
Julien Suaudeau


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Positif 485 2001
Toronto


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Télérama 2668 2001